La semaine dernière, nous avons présenté un texte qui visait à mettre de l’avant les inconvénients des systèmes de monoculture. Le concept de monoculture vient du domaine de l’agriculture, mais peut également référer aux systèmes économiques, politiques et épistémologiques. Associée au concept de monoculture épistémologique – c’est-à-dire les systèmes de connaissances qui structurent nos façons de penser – un autre enjeu qui nous tient particulièrement à cœur est la dégradation de la diversité linguistique vers une monoculture linguistique.

Dans cet article de blogue, nous avançons la proposition suivante : les connaissances autochtones peuvent informer des approches alternatives aux pratiques ravageuses implantées à l’échelle mondiale par le projet colonisateur. La spécificité contextuelle des connaissances autochtones et leur considération centrale de la nécessité d’une relation forte avec l’environnement font en sorte que ces connaissances nous offrent une logique différente de l’universalisation, de la négligence et de l’extractivisme qui sous-tendent la vie économique et politique actuelle.

Il est louable de reconnaitre l’importance des connaissances autochtones, mais comment ces connaissances peuvent-elles être mise de l’avant concrètement ?

Nous croyons que ces savoirs pourront refaire surface grâce à la tradition et à la communication orale – gardée et reproduite par les personnes, par les gardiens des savoirs. Les langues autochtones ont été développées par les peuples autochtones selon leurs propres épistémologies. Dans les cultures autochtones, les langues sont les véhicules privilégiés permettant de produire et de faire avancer les connaissances – en relation avec les gardiens des savoirs. Par ailleurs, puisque nos façons de faire actuelles sont tout à fait éloignées de ces modes de production et de développement des connaissances, le défi semble de taille pour réintégrer ces dernières au sein de nos écosystèmes. En effet, on constate que les langues autochtones sont parlées de moins-en-moins. En parallèle à l’extinction massive des espèces vivantes et du déclin de la biodiversité actuelle coexiste une extinction de nature linguistique. Les êtres humains communiquent de plus en plus à travers quelques langues seulement.  Certains mouvements tentent d’ailleurs tant bien que mal de valoriser les langues autochtones et même d’en faire revivre certaines qui se sont presque éteintes. Selon nous, ces initiatives devraient être célébrées, et surtout appuyées. Toutefois, alors que quelques-uns consacrent énormément d‘énergie à préserver des langues, la majorité fait le contraire et se conforme à fonctionner dans un éventail de langues de plus en plus réduit.

Ce que nous souhaitons faire comprendre, est que lorsque nous faisons référence à la communication, nous ne référons pas simplement à des échanges banals, mais plutôt à l’acte de produire et de transmettre des connaissances issues d’une culture et de la diversité. Nous référons également à la communication et aux connaissances qui sous-tendent l’éducation de nos enfants. Les modalités de communication de notre monde colonial porté vers la monoculture entraînent une atrophie de la diversité culturelle et épistémologique avec des effets qui seront ressentis sur le long terme, et pouvant même s’avérer permanents. 

Comment la physiothérapie contribue-t-elle à cette dynamique ?

Face à la nécessité de sauvegarder, voire de promouvoir, la diversité linguistique, la physiothérapie n’a pas été exemplaire. Nous constatons que la profession a appuyé une approche hégémonique face à la langue : les communications internationales et la production des connaissances se font surtout dans une seule langue. Trop souvent, on supprime la diversité linguistique fonctionnelle, sous prétexte que de maintenir une telle diversité est trop compliqué, ou encore que ce n’est pas nécessaire.

Shaun Cleaver (PhD)

Shaun Cleaver (PhD)

Lecturer, McGill University School of Physical & Occupational Therapy

Comme chercheur, Shaun explore les politiques publiques et les services en collaboration avec des personnes en situation de handicap. Comme enseignant, Shaun s’intéresse à la santé mondiale et communautaire et au professionnalisme.

Anne Hudon (PT, PhD)

Anne Hudon (PT, PhD)

Professeur adjointe chez Université de Montréal

Thème clé de ses recherches: Les aspects éthiques de la pratique, notamment l’éthique professionnelle et l’équité dans les soins, l’analyse des politiques de santé, la réadaptation après une lésion professionnelle et l’amélioration des services de réadaptation pour les personnes vivant avec une déficience physique et de la douleur chronique.

Mélodie St-Georges (She/Her)

Étudiante de Baccalauréat en physiothérapie à l'Université de Montréal

Passionate about social justice and saving our beautiful planet 🌎

Photo by Lê Tân on Unsplash

Nous croyons que la façon dont les physiothérapeutes conçoivent actuellement la diversité linguistique est problématique. En effet, la plupart des gens pensent à la diversité des langues comme étant utile pour périphéraliser le dialogue et les idées centrales de la ou des langues hégémoniques vers la périphérie. Ainsi, on pense souvent à tort que l’idée de l’existence des langues est de disséminer du centre vers les marges les idées conceptualisées et discutées dans la ou les langues dominantes. Cette façon de faire est problématique d’une part parce que l’on assume que les connaissances issues des langues dites « prioritaires » ou hégémoniques sont appropriées et pertinentes pour tous les contextes à travers le monde, renforçant l’idéologie de la monoculture et d’une application décontextualisée des savoirs. D’autres part, ceci est problématique parce qu’on accorde aux connaissances et aux idées des langues dominantes une valeur « supérieure » aux travaux rédigés dans d’autres langues. Les idées et les connaissances provenant de la diversité linguistique sont ainsi perçues comme inappropriées ou « dépassées » tout simplement parce qu’elles s’éloignent de la culture et des idéologies des pays de la ou des langues dominantes. Mais comme nous l’avons exprimé dans notre billet de blogue précédent, nous croyons que dans la « polyculture » réside plusieurs réponses aux crises environnementales et sociales actuelles.

Ainsi donc, est-ce que notre profession pourrait faire autrement ? Nous croyons que cela est possible, tout en sachant que pour y arriver, les physiothérapeutes devront intentionnellement se positionner à l’encontre des tendances hégémoniques et de monoculture actuelles.

Pour la bonne survie d’une planète et d’une profession, nous vous invitons aussi à réfléchir à ces questions et à considérer de vous positionner différemment face aux tendances centralisatrices afin d’avancer ensemble dans de nouvelles directions.

 

Références :

Blanchet, Philippe (2012). « Enjeux d’une diffusion francophone de la recherche ». Chapitre 2 (pp.13-24) dans Didier de Robillard et Philippe Blanchet, L’implication des langues dans l’élaboration et la publication des recherches scientifiques : l’exemple du français parmi d’autres langues, Bruxelles : Français & Société 24, EME Editions. ⟨hal-01112505⟩

Commission canadienne pour l’UNESCO (2018). « Les langues maternelles, un joyau de l’humanité ».  CCUNESCO. https://fr.ccunesco.ca/blogue/2018/2/langues-maternelles-un-joyau-de-l-humanite

Hébert, Guillaume et Tremblay-Pepin, Simon (2013). « Qu’est-ce que l’extractivisme? ». Institut de recherche et d’informations socioéconomiques. https://iris-recherche.qc.ca/blogue/quest-ce-que-lextractivisme

Lavoie, Constance, Sarkar, Mela, Mark, Marie-Paule et Jenniss, Brigitte (2012). « Premières Nations, premières en diversité ». Québec français, 167 : 57-58. https://www.erudit.org/fr/revues/qf/2012-n167-qf0344/67714ac.pdf

Survival international (sans date). « Les langues autochtones : une clef pour comprendre qui nous sommes vraiment ». Survival international. https://survivalinternational.fr/textes/3587-languesautochtones

The Alberta Teachers Association (2019). « Diversité et revitalisation des langues autochtones : Planifier votre parcours d’apprentissage ». Pierres d’assise, 12. https://www.teachers.ab.ca/About%20the%20ATA/Servicesenfran%C3%A7ais/Ressources-thematiques/Pages/Premieres-nations-Metis-et-Inuits.aspx

 

Autres ressources intéressantes :

Le Quang, Mathieu (2019). « Penser l’extractivisme en Amérique latine à partir de l’écosocialisme ». Écologie & politique, 59(2) : 57-71. https://www.cairn.info/revue-ecologie-et-politique-2019-2-page-57.htm

 

Header image: Photo by Jireh Foo on Unsplash